Publié le 16 Août 2016
Bonjour à tous,
Didier Rykner maintient sa vigilance sur le devenir des collections du musée. Il a récemment écrit un article sur le dépôt du musée de l’AP-HP au musée des Beaux-Arts de Rennes que je vous invite à lire ci-dessous.
Plusieurs dépôts importants pour le Musée des Beaux-Arts de Rennes
Les enrichissements des musées peuvent se faire par d’autres moyens que les achats, les dons ou les legs. Il existe dans notre pays tant d’œuvres en déshérence, tant d’objets conservés dans des réserves et que l’on ne pourra jamais voir exposés qu’il est souhaitable de réfléchir aussi aux manières de présenter ce patrimoine.
Le Musée des Beaux-Arts de Rennes, dont nous ne cessons de louer la politique remarquable qu’il mène depuis quelques années, l’a bien compris. Outre ses acquisitions (il y en a de nombreuses, et nous parlerons des plus récentes dans plusieurs brèves à venir), cet établissement a pu accrocher récemment sur ses murs beaucoup d’œuvres qui complètent et renforcent ses collections, sans avoir à dépenser un euro (si ce n’est en transport).
Il faut distinguer plusieurs types de dépôt. D’une part ceux qui consistent à montrer des œuvres de musées actuellement fermés pour travaux. Nous voulons ici parler de véritables travaux, pas d’un prétexte pour fermer un musée qui ne doit plus rouvrir. C’est ainsi que l’on peut voir actuellement à Rennes deux tableaux des collections de Nantes : la Portrait de femme de Virginia Vezzi, acquis en 2009 (voir la brève du 23/4/09) et un grand chef d’œuvre de son époux, Simon Vouet, L’Apothéose de saint Eustache. Si ces deux toiles vont bientôt rejoindre leur musée d’origine pour sa prochaine réouverture, quatre autres tableaux du XVIIe siècle viennent de prendre leurs quartiers sur les cimaises du musée de Rennes. Il s’agit ici d’un deuxième type de dépôt : montrer des collections de musées fermés dont on ne sait pas quand ils rouvriront, ni même s’ils rouvriront vraiment. Cela permet au moins de présenter ces tableaux au public et de rappeler l’existence du musée afin de ne pas l’oublier.
Il s’agit en l’occurrence du Musée de l’Assistance Publique, scandaleusement fermé en 2010 pour vendre l’hôtel qui l’abritait (voir nos articles). Un conservateur des archives vient d’être nommé pour superviser à la fois les archives de l’APHP, mais aussi le musée de l’APHP. La bonne nouvelle, c’est qu’elle doit recruter prochainement un conservateur du patrimoine pour ce musée fermé, même si on se demande pourquoi les archives devraient superviser le musée1. La mauvaise nouvelle, c’est que le directeur de l’APHP, l’ancien ministre Martin Hirsch, semble avoir un peu de mal avec la notion même de musée : sur l’antenne de France-Inter, le 4 avril 2016, il s’est en effet félicité que le musée ait « rouvert virtuellement » puisque « on a numérisé tous les trésors qu’on a là pour les rendre à disposition ». Fort heureusement, le journaliste lui fait remarquer que ça ne remplace pas le musée. Et Martin Hirsch de répondre qu’il y a deux hypothèses : « avoir un espace temporaire d’expositions sur lesquelles on fasse tourner la collection » ou « faire une collection permanente, ce qui est effectivement beaucoup plus cher, qui nécessiterait des sous, des mécènes etc. ». Martin Hirsch devrait savoir qu’il n’y a pas une collection permanente « à faire » mais que cette collection permanente existe, et qu’il n’est pas question de « faire tourner les collections » dans des expositions temporaires mais bien de rouvrir un musée de l’Assistance Publique comme d’ailleurs, à l’époque, l’APHP l’avait promis (voir la brève du 27/6/11). Martin Hirsch est engagé par cette promesse faite publiquement d’une « réouverture du musée au plus tard en 2015 », alors que rien n’a pour l’instant été fait. Inutile d’ajouter qu’une nouvelle fois, dans cette affaire, le ministère de la Culture et la DRAC sont totalement absents. Audrey Azoulay ne se gêne pas pour tancer un maire qui n’est pas de son bord politique pour avoir fermé un centre d’art (et elle a raison) mais elle reste curieusement muette quand un musée tel que celui de l’APHP ferme ses portes et que ses collections partent en réserves…
Mais revenons à Rennes où l’APHP a accepté de mettre en dépôt (reconnaissons lui ce mérite) plusieurs tableaux. D’abord, son grand ter Brugghen, chef-d’œuvre absolu qui sera ici en bonne compagnie aux côtés du Honthorst et des Matthias Stomer des collections rennaises. Ensuite, les deux tableaux ovales de Noël Coypel. provenant de la chapelle de l’hôpital Laënnec, qui rejoignent une collection déjà très riche en œuvres de cet artiste auteur, avec Charles Errard, des peintures du Parlement de Rennes. Enfin, Sainte Geneviève donnant sa protection aux malades, une toile de Nicolas de Plattemontagne qui sera exposée non loin d’œuvres de son maître Philippe de Champaigne.
Un troisième type de dépôt permet de présenter des œuvres prêtées pour trois ans renouvelables par des musées qui ne les accrochent pas actuellement sur leurs murs. Il est alors toujours préférable qu’ils soient vus, fût-ce dans un autre musée. C’est ainsi qu’un Raoul Dufy, Voiliers dans le port du Havre et un Marcel Gromaire, Les jeux sur la plage, ont été déposés par le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.
Un quatrième genre de dépôt enfin s’apparente davantage à de vraies acquisitions car ils resteront longtemps, peut-être même définitivement, dans le musée qui les accueille. Il s’agit d’une part de ceux du Mobilier National qui n’ont plus vocation à décorer des bâtiments officiels mais qui trouvent toute leur place dans un musée. C’est ainsi, comme nous l’avions annoncé (voir l’article), que de nombreuses œuvres présentées dans l’exposition sur les Tentures du Parlement de Rennes ont rejoint les collections bretonnes. C’est encore plus vrai peut-être des œuvres du CNAP (Centre National d’Art Plastique), véritable « collection sans murs », expression que l’on trouve sur son site internet, et qui a pour vocation de déposer des tableaux ou des sculptures dans les bâtiments publics, dont les musées. Un extraordinaire Devambez est désormais accroché à Rennes. Ce chef-d’œuvre étonnant représente l’Exposition Universelle de 1937 vue de la tour Eiffel (ill. 6). On est souvent frappé chez cet artiste par ses points de vue plongeant, comme ici ou comme dans La Charge du Musée d’Orsay ou Les avions fantaisistes du Musée départemental de l’Oise.
Enfin, le musée s’est également enrichi de trois autre dépôts du CNAC : un grand portrait de femme par Carolus-Duran (ill. 7), mais aussi (même si cela sort de notre champ) de deux toiles de Joan Mitchell, qu’il serait certainement incapable d’acquérir de manière onéreuse tant cette artiste est chère aujourd’hui. Il se passe décidément toujours quelque chose au Musée des Beaux-Arts de Rennes.
Didier Rykner, jeudi 21 juillet 2016
Retrouvez l'article sur le site : http://www.latribunedelart.com/plusieurs-depots-importants-pour-le-musee-des-beaux-arts-de-rennes